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Teach Transition

Étude de cas : schèmes et invariants opératoires chez les professionnels de la formation par et pour le numérique

Elfi Casanave1, Pierre-André Caron2

1 Université de Lille, ULR 4354, CIREL, F-59000 Lille, France

elfi.casanave@univ-lille.fr

2 Université de Lille, ULR 4354, CIREL, F-59000 Lille, France
pierre-andre.caron@univ-lille.fr

 

Résumé. Notre étude propose une analyse d’entretiens de formateurs de type ethnographique aux profils variés afin de mettre en évidence les principes décisionnels sous-jacents à l’activité de formation par et pour le numérique (conception et mise en œuvre). Cette première analyse a pour but d’initier et d’éclairer la réflexion sur le design et l’ingénierie collaborative d’une formation universitaire transfrontalière au numérique pour les enseignants (projet Interreg – Teach Transition).

Mots-clés : formation, numérique, enseignants, distanciel, schèmes

 

Abstract. Our study exposes an analysis of ethnographic interviews involving a varied pool of professional development practitioners. Our goal is to highlight the underlying decisional process taking place when designing and implementing digital professional training. This tentative analysis aims at sparking and feeding the reflective practice of collaborators currently engineering a new a transborder, university-led digital training-course for teachers (Interreg – Teach Transition project).

Keywords: Professional development, digital, teachers, distance, schemes

 

1 – Introduction

La crise de la COVID qui sévit dans le monde depuis le printemps 2020 a fait basculer sans transition le monde de l’éducation vers un usage intensif du numérique en formation. D’une intégration limitée du numérique dans les pratiques [1], écoles, universités et formations sont passées du jour au lendemain à un mode distanciel puis hybride forcé dans lequel le numérique a pris de facto une place centrale. Parallèlement à cet épiphénomène, le projet Teach Transition financé par Interreg, qui associe divers partenaires éducatifs Lillois et Wallons, a pour ambition de créer une formation universitaire transfrontalière ayant pour projet de former les enseignants au numérique pour leur permettre d’adapter leurs pratiques à ces modes distanciels ou hybrides qui pourraient s’installer durablement dans le paysage éducatif.

Notre étude menée au printemps 2020 interroge un panel de professionnels de la formation par le biais d’entretiens de type ethnographique dans lesquels les répondants sont invités, par le récit, à verbaliser les principes sous-jacents à l’élaboration et à la mise en œuvre de leurs formations par et pour le numérique. Cette étude, qui constitue une première étape au sein des six phases composant notre recherche, est complétée par un questionnaire à destination des participants potentiels à cette formation afin d’en élaborer un premier profil, qui ne sera pas abordé dans notre communication.

Notre recherche a pour objectif macro-systémique d’accompagner l’élaboration d’une nouvelle formation puis d’analyser itérativement son déroulement selon les principes de la recherche collaborative orientée par la conception [2]. Nous souhaitons, à partir des résultats découlant d’une première démarche inductive, élaborer un cadre de design potentiellement utilisable pour l’ingénierie d’autres formations similaires, et évaluer la pertinence de ce cadre du point de vue des formateurs et des formés afin de le faire éventuellement évoluer au sein de notre démarche itérative.

Notre analyse de ces entretiens propose un mode de traitement mixte original et complémentaire en deux phases : la première analyse s’appuie sur une méthode venue du design [3], consistant à faire émerger collectivement et librement les points saillants des récits collectés; une seconde analyse est de type compréhensive et s’appuie méthodologiquement sur la mise en évidence de schèmes et d’invariants opératoires chez les professionnels de la formation par et pour le numérique [4].

 

2 – Méthode de recueil des entretiens des formateurs/concepteurs

Ces entretiens semi-directifs nous ont permis de recueillir les propos de 17 formateurs et/ou concepteurs expérimentés côté français et belge aux profils divers : spécialisés dans le numérique, issus du milieu universitaire, primaire ou secondaire, enseignants ou formateurs à distance, en présentiel ou en mode hybride. Les formateurs sélectionnés ont été invités à partager avec nous la façon dont ils conçoivent en général leurs formations (numériques ou non), et à détailler un exemple spécifique de formation accompagné d’éléments concrets de leur choix (documents, tableaux, photos, schémas, dessins, etc.). Notre objectif est alors d’enregistrer un récit le plus ininterrompu et personnel possible nous permettant de recueillir les représentations de ces formateurs, de la conception d’une formation à sa mise en œuvre et de favoriser dans leur récit les digressions éventuelles, sources d’association qui pourraient nourrir notre démarche inductive. En fin d’entretien, nous avons inscrit dans notre protocole de recueil la possibilité de demander des clarifications sur l’ordonnancement des activités, le suivi, l’évaluation, les compétences, les savoirs, les difficultés et les réussites, si cela n’a pas été abordé dans le récit. Les entretiens enregistrés, d’une durée moyenne comprise entre 45 minutes et une heure, ont été ensuite résumés sous format texte afin de faciliter le partage et l’analyse par les différents collaborateurs du projet. Ces résumés sont accompagnés des documents que le formateur interrogé a souhaité associer pour éclairer son propos.

 

3 – Analyse du corpus

La première analyse du corpus a été effectuée par l’ensemble des collaborateurs du projet dans une approche design qui vise à favoriser, à partir des données recueillies, une phase d’idéation [5]: les collaborateurs ont lu chacun de leur côté l’ensemble des résumés des entretiens postés au préalable sur un tableau blanc virtuel et interactif, puis ont partagé en synchrone via un outil de visioconférence leur vision des points saillants de chaque entretien, consignés sur le tableau blanc sous forme de post-its électroniques. L’objectif de cette approche est de ne pas brider la créativité des partages afin de favoriser l’émergence de lectures singulières et collectives originales des entretiens.

Dans un deuxième temps, notre équipe a souhaité s’inscrire dans une démarche compréhensive des propos recueillis afin de mieux cerner l’activité des formateurs par ou pour le numérique et en déduire une première approche des compétences qu’ils mobilisent dans leur quotidien professionnel. Pour cela nous avons entrepris d’analyser le corpus d’entretiens à la lumière des modèles théoriques de Vergnaud [4] et d’Engeström [6]. Nous avons choisi d’effectuer une analyse thématique de chaque entretien, puis une analyse thématique transversale afin de faire émerger dans une démarche itérative des catégories essentielles d’activités décrites par les formateurs.

Une meilleure compréhension des schèmes des formateurs-concepteurs nous paraît à même de favoriser la construction d’une formation universitaire à visée professionnalisante, d’une part en contribuant à leur identification et à leur enseignement, d’autre part en contribuant au développement même de ces schèmes chez les apprenants. Cette démarche s’inscrit dans une exploration que nous menons dans le cadre notre projet sur la nature des TICE : entre savoir disciplinaire et pratiques professionnelles.

 

4 – Premiers résultats

La plupart des activités décrites par les formateurs dans les entretiens, tant au niveau de la conception que de la mise en œuvre, peuvent être classées selon deux types de démarches. Les activités semblent relever tantôt d’une démarche anticipative ou régulative, tantôt d’une démarche adaptative au groupe ou à l’individu [4].

En outre, ces actions semblent toujours influencées par un certain nombre de facteurs au niveau macro, méso, et micro [9], que le formateur internalise dans sa démarche. Ces influences sont parfois verbalisées clairement par le formateur mais semblent à d’autres moments intériorisées sans verbalisation. Nous avons fait une place particulière dans notre analyse, par emprunt à la théorie de l’activité d’Engeström [6], aux activités collectives et collaboratives dans la forme comme dans la participation, qui dénotent une vision de l’individu comme apprenant social, au sein d’une communauté. Nous avons synthétisé notre analyse de l’activité de formateur dans la figure 1 (Fig.1).

 

Fig.1. Schéma Synthétique De L’activité De Formateur Et Des Différents Niveaux D’influence

5 – Mise en perspective

Notre approche mixte dans le projet Interreg – Teach Transition intègre des techniques issues du design et de l’analyse de l’activité aux processus plus classiques d’ingénierie pédagogique, afin d’articuler l’art du faire pratique et l’art du faire scientifique comme le suggère Paquelin [7]. Les premiers résultats émanant de notre analyse mixte de ces entretiens de formateurs corroborent les récentes recherches indiquant la tension constante ressentie par le formateur-concepteur, oscillant entre rigueur prescriptive et nécessité de s’adapter aux apprenants [8].

L’approche brièvement décrite ci-dessus, grâce aux emprunts pluridisciplinaires et à son fonctionnement itératif, nous permet, dans le cadre de ce projet, une triple mise en abîme : elle interroge notre action de chercheurs-concepteurs-formateurs et donc la démarche de design que nous proposons. Elle questionne les compétences que notre formation souhaite contribuer à développer chez les apprenants, et elle influence les contenus à enseigner. Notre démarche s’inscrit et trouve son écho dans le débat lancé en mars 2020 dans la revue Distances et Médiations des Savoirs [9] sur la forme et le rôle de l’ingénierie pédagogique.

 

Références

  1. Brunel, S.: De la didactique des usages numériques. Éditions Universitaires Européennes (2014).
  1. Caron, P.-A.: Ingénierie dispositive et enseignement à distance au temps de la COVID 19. Distances et médiations des savoirs. 30, (2020).
  1. Engeström, Y. et al.: Perspectives on Activity Theory. Cambridge University Press (1999).
  1. Neumann, M.: Ideation reference process model for the early phase of innovation. Université de Grenoble (2013).
  1. Nova, N. et al.: De l’ethnographie au design, du terrain à la création : tactiques de traduction. Sciences du Design. Presses Universitaires de France. 1–1, 86–93 (2015).
  1. Paquelin, D.: Repères pour une ingénierie interactionniste situationnelle. Distances médiations et savoirs. 32, (2020).
  1. Peraya, D., Peltier, C.: Ingénierie pédagogique : vingt fois sur le métier remettons notre ouvrage. Distances médiations et savoirs. 29, (2020).
  1. Sanchez, É., Monod-Ansaldi, R.: Recherche collaborative orientée par la conception. Un paradigme méthodologique pour prendre en compte la complexité des situations d’enseignement-apprentissage. Éducation et didactique. Presses Universitaires de Rennes. 9–2, 73–94 (2015).
  1. Tarrit, C.R.: Étude d’un Dispositif Pédagogique Instrumenté Complexe et de ses propriétés. Une approche épistémique et méthodologique, le cas d’une université brésilienne. Univ. Lille Cirel-Trigone (2015).
  1. Vergnaud, G.: La théorie des champs conceptuels. Recherches en didactique des mathématiques. 10, 2–3, (1990).

Avec le soutien du Fonds européen de développement régional

Et avec le soutien de

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